La femme arabe entre présence et absence –Le Harem du XXIème siècle.

Introduction

La société Arabe:

Avant tout, il importe de souligner que la condition de la femme arabe dans nos sociétés contemporaines ne peut en aucun cas être imputée à une religion ou une idéologie en particulier, mais à la structure patriarcale qui régit toute relation de pouvoir.  Notons le lien étroit qui existe entre cette tradition patriarcale et la tyrannie en politique. L’homme est victime des humiliations et de l’aliénation imposées par des sociétés autoritaires au même titre que la femme, mais cette dernière doit supporter à la fois la pression sociale et la domination de l’homme. Les régimes politiques non démocratiques favorisent l’émergence d’une hiérarchie sociale, accentuant la fracture entre dominants et dominés tout en normalisant la domination de l’homme sur la femme.

La culture patriarcale demeure de nos jours le principal déterminant des rôles sociaux de chaque individu, en fonction de ses capacités biologiques et psychologiques. Ainsi se perpétue la discrimination envers les femmes, puisque la féminité reste considérée comme synonyme de passivité, d’émotionalité et de faiblesse au contraire de l’efficacité et de la perfection associées à la virilité. Il reviendrait donc à la femme de se conformer au modèle originel et parfait, l’homme.

Cette hiérarchisation entre hommes et femmes, conséquence directe de la tradition patriarcale dominante, recoupe le morcellement de la société en fonction de critères socio économiques, voire en fonction de l’appartenance communautaire, comme c’est le cas dans beaucoup de pays arabes (au Liban, cette appartenance communautaire va parfois jusqu’à déterminer les positions politiques de l’individu et est prise en compte par la Constitution). Cette situation exclut de facto les notions de «citoyenneté» et de «droits de l’homme», affectant en premier lieu la condition de la femme en ce qu’elle bafoue son humanité et annihile ses ambitions.

L’opposition entre féminité et virilité est désormais intégrée par la culture dominante, favorisant la banalisation de la primauté de l’homme au détriment de la femme. Ce sexisme impacte la langue arabe comme il marque l’ensemble des langues dans le monde.

Pire encore on a souvent tendance à recourir à la science pour justifier la division des caractéristiques spécifiques à la femme et d’autres spécifiques à l’homme; prenons par exemple la théorie de l’anima (l’élément féminin dans le mâle) et l’animus (l’élément masculin dans la femelle) du psychologue Carl Jung qui aurait pu rester une notion scientifique neutre si la psychologue Clarissa P. Estes  n’en a pas consacré l’idée que même si une femme possède certaines caractéristiques telles le courage, l’efficacité ou l’ouverture au monde extérieur…, cela est dû à sa part de virilité[1].

Même les exégèses du Coran ont longtemps fait une interprétation selon cette division. Certains interprètes ont ainsi vu dans le verset 36 de la Sourate III: «Un garçon n’est pas semblable à une fille»[2] une justification de la supériorité masculine. Muhammad Shahrûr, auteur syrien contemporain, considère quant à lui que dans la langue arabe, l’objet de la comparaison- la fille dans ce cas précis- est plus estimable et noble que le comparé- le garçon[3].

L’époque de la Nahda (ou ‘Renaissance Arabe’ mouvement progressiste du début du 19ème siècle) a apporté beaucoup en terme d’idées progressistes pour les sociétés arabes, et notamment en faveur de l’émancipation des femmes. Avec le temps, deux courants opposés au sujet des droits de la femme sont apparus, à savoir l’un dépositaire d’un discours réactionnaire et l’autre relevant des discours de gauche aspirant au passage sans transition au modèle de la femme occidentale. Le discours réactionnaire s’est peu à peu islamisé et est caractérisé par un rejet en bloc du modèle occidental. On assiste dans le contexte actuel du monde arabe, mouvementé tant au plan politique qu’intellectuel, à un blocage dû à des débats stériles quant à la situation de la femme, avec une remise en cause des vagues de libéralisation qui ont atteint notamment l’Egypte, la Syrie ou l’Algérie dans les années cinquante[4].

A partir des années soixante-dix, la participation de la femme au développement économique et social est devenu un sujet récurent dans le monde arabe. Il s’agissait de la nécessité de libérer les énergies créatrices de la femme afin de favoriser son activité dans les rouages du pouvoirs et dans les cercles de décision. Ce mouvement a été encouragé par les Nations Unies qui ont fermement soutenu une unification des lois concernant la condition des femmes partout dans le monde. Dans les pays arabes, il s’agissait plutôt de mettre à profit les capacités productives de chaque citoyen, femmes comprises, sous l’influence de l’idéologie socialiste. Cependant le taux élevé de chômage et l’abondance de la force de travail ont crée une pression sur le marché du travail telle, qu’en réalité les femmes en sont restées majoritairement exclues. L’exploitation de la force de travail féminine est donc restée au rang de slogan, même si les femmes ont toujours travaillé dans les campagnes. L’essentiel du problème réside dans l’inexploitation des énergies créatrices des hommes et des femmes,  du fait des crises socio économiques à répétition et de la démographie galopante. La condition indispensable au déblocage de cette situation serait que les régimes en place permettent une libre expression de chacun, dans un climat d’ouverture intellectuelle et de liberté autant pour l’homme que pour la femme. Des facteurs extérieurs jouent aussi un rôle important dans la maintenance de la structure patriarcale tyrannique. Le statut quo des régimes politiques arabes, qui permet de garder la région stable, profite à l’Occident, qui a des intérêts vitaux dans le monde arabe, ne serait ce que le pétrole et l’affrontement économique avec la Chine et l’Inde.

La femme Arabe:

A mon avis, il existe deux étapes dans le processus de normalisation de la soumission de la femme arabe: la première est celle de la société phallocrate où l’homme réprime la femme dans les cercles familial et professionnel, phénomène largement véhiculé par les médias et notamment dans les feuilletons télévisés. La deuxième étape que moi j’appelle l’étape du harem phallocrate composé de femmes porteuses et transmetteurs des idées masculines autoritaires sans réflexions, et de femmes qui essaient de sortir de ce cercle autoritaire sans pouvoir jamais passer au changement réel. Intériorisant la domination masculine par leur participation implicite à ce phénomène: la femme elle-même travaille ainsi à transmettre aux générations futures ce modèle patriarcal qui l’aliène.

Je dirais donc qu’il y a une absence d’esprit critique indispensable à la réforme du système en place et à la remise en cause de la domination masculine. Dans leur majorité, les femmes intellectuelles qui ont pris part au débat autour de l’émancipation de la femme arabe ont conscience de ce blocage mais ne parviennent pas à constituer un mouvement véritablement affranchi des carcans traditionnels.

Les femmes arabes, chrétiennes ou musulmanes, subissent les mécanismes inégalitaires des systèmes éducatifs, socio-économique et culturel. Elles souffrent par ailleurs des conséquences du sous-développement économique en plus des problèmes inhérents à leur condition de femme. On trouve chez ces femmes, quelle que soit leur confession, des tendances laïques ou de gauche sans qu’elles puissent néanmoins s’affranchir des contraintes imposées par leur société. On peut parler de crise identitaire pour ces femmes libérées, déchirées entre la société traditionnelle arabe dans laquelle elles vivent, et l’Occident idéalisé dont elles ne sont que les spectatrices.

  Je peux parler de l’absence de la femme arabe dans le sens ou elle n’arrive pas à créer une dynamique pour dépasser les traditions archaïques avec de nouvelles idées valables pour le XXIème siècle. L’émancipation de la femme doit être comprise comme une réconciliation avec elle-même, une victoire sur l’aliénation socio-économique, une prise de pouvoir décisionnel dans un contexte politique où elles sont actives, à côté des hommes, pour améliorer conjointement la situation des deux sexes.

  Malgré la création de nombreuses universités privées en Syrie qui permettent à la femme d’accéder à des études supérieures, celle-ci n’a pas le droit de choisir son avenir, mais doit se plier à la volonté de sa famille et de la société. Tenir la femme à l’écart de tout rôle actif est la preuve de la peur des hommes de devoir rivaliser avec elles. La femme doit fournir deux fois plus d’efforts que l’homme pour arriver à exercer un rôle actif dans la société.

L’homme Arabe:

Les hommes arabes peuvent être caractérisés par un dédoublement de personnalité puisqu’il y a souvent des contradictions entre leurs discours et leur comportement. Ils peuvent parfois sembler avoir un niveau culturel élevé ou des idées libérales, mais lorsqu’il s’agit de la femme, ils sont sous l’emprise de stéréotypes simplistes parmi lesquels la certitude que la femme n’a été créée que pour eux et qu’elle n’a pas de personnalité propre et potentiellement indépendante. Ils revendiquent ouvertement leur primauté sur la femme par la défense de leurs intérêts, au moyen d’arguments peu convaincants: «C’est moi l’homme, ici!». Le manque de maturité des hommes dans leur façon de traiter la femme est évident puisqu’ils ne la respectent pas comme elle le mérite, cherchent parfois une mère dans leur épouse, et considèrent qu’elle doit obéir et exécuter sans réserve tous leurs caprices tout en étant assez excitantes pour satisfaire leurs désirs et leurs fantasmes. Dans le cas contraire, ils ne se privent de relations hors mariages pour satisfaire leurs besoins sans ressentir la moindre culpabilité ni concevoir que ce même ennui peut aussi atteindre l’épouse. L’homme se satisfait et craint dans le même temps les femmes et le sexe.

L’homme qui se présente comme un époux libéral ne peut ainsi pas accepter l’indépendance financière de sa femme, ni ne peut concevoir qu’elle aie des projets propres, le reléguant au bas de l’échelle de ses priorités. Dans ce cas, les rôles s’inversent puisque la femme n’est plus aux crochets de son époux, craignant qu’il la délaisse. C’est aujourd’hui l’homme qui craint que son épouse l’abandonne.

  Ainsi même lorsqu’une femme est l’épouse d’un homme considéré comme libéral, censé favoriser son émancipation, elle demeure sous l’emprise de sa volonté. L’homme est dans tous les cas le maître, rôle qui lui est difficile d’abandonner dans une société sexiste.

Il existe bien entendu de nombreuses exceptions à un tel modèle, objet de la critique dans cet ouvrage, ainsi que des indices de progrès dans les sociétés arabes, même si j’ai mis l’accent dans cette analyse sur la condition déplorable des femmes, dont les droits méritent d’être défendus avec toujours plus de conviction.

Dans le premier chapitre Image de la femme arabe et ses stéréotypes, est abordée la question du système de pensée dans le monde arabe, étendu aux domaines de l’éducation, des médias et du monde du travail. La femme idéale serait celle qui se plie aux traditions, dont la valeur est réduite à son corps puisqu’elle doit obéir à son mari, lui donnant des enfants et sacrifiant sans limites. Dans ce contexte, le contrôle de son comportement, et notamment de l’usage qu’elle fait de son corps est considéré comme indispensable.

Le propos n’est pas de placer les hommes au banc des accusés, mais de souligner la responsabilité d’une société basée sur des valeurs archaïques telle la notion du ‘Ayb (la honte, le gêne, le manque de pudeur), la conception de l’honneur, la chasteté imposée à la femme et des relations sociales caractérisées par l’hypocrisie. Autant de concepts analysés dans le deuxième chapitre, La femme entre l’étau des traditions et l’inconscience. Il y a de nos jours une confusion entre des traditions, irrationnelles proches de la magie et du charlatanisme, et l’Islam, qui interdit strictement le recours à de telles pratiques qui sont parfois utilisées pour perpétrer la domination masculine et protéger les intérêts des hommes.

Dans le troisième chapitre, j’ai abordé le sujet de la femme et la lois; la femme en tant que l’objet/passif sur lequel ces lois sont appliquées, ou le sujet/actif (si cela existe) qui met les lois en faveurs de son sexe. J’ai parlé des lacunes des codes civils dans les pays arabes, loin de garantir aux femmes leurs droits. La condition des femmes dans les campagnes est des plus déplorables, malgré que la majorité des pays arabes soient signataires de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (UNESCO, résolution 34/180 de 1979 entrée en vigueur le 3 Septembre 1981). Le problème de la polygamie est également abordé dans ce chapitre, puisque je démontre en quoi ce phénomène est plus proche de l’interdiction que de la permission dans les textes saints en Islam.

J’ai consacré au sujet de l’efficacité inexploitée de la femme en politique et en économie, le quatrième chapitre intitulé La femme, acteur à part entière dans la société arabe? La société arabe est toujours régie par un système patriarcal qui permet difficilement à la femme d’être indépendante et efficace économiquement et politiquement. Comme dans tous les pays en voie de développement, la bureaucratie et la corruption favorisent le statu quo de la condition de la femme, retardant l’accès de celle-ci au rang des citoyens libres en pleine possession de leurs capacités créatrices. Les organisations et les associations féminines ne sont que copies réduites des régimes politiques phallocrates, relevant souvent d’actions bénévoles dans un cadre caritatif. Certaines femmes arabes sont parvenues récemment à des postes politiques à responsabilité même si elles sont toujours reléguées au deuxième rang derrière les hommes qui demeurent les seuls dépositaires des décisions primordiales. Les femmes ont largement conquis les parlements dans le monde arabe, mais elles défendent plus les régimes en place qui les intègrent à des fins propagandistes, que l’amélioration concrète de la condition de la femme.

Dans le cinquième chapitre A quand l’épanouissement sexuel de la femme dans les sociétés arabes? je m’attache à la passivité à laquelle est réduite la femme dans le domaine intime. Paradoxalement, dans l’imaginaire des hommes, celle-ci est représentée comme débordante d’appétit sexuel et de lubricité. Par conséquent, la femme devient objet de craintes, à surveiller puisque créature envoûtante, elle peut par son sexe affaiblir l’homme et remettre en cause l’équilibre de la société. Ainsi culpabilisée, la femme subit les contraintes de la société phallocrate. Quelles que soient les modalités des mariages, qui différent en fonction des communautés confessionnelles et qui évoluent aux côtés des mutations sociales, il apparaît que l’union n’est toujours qu’un moyen de satisfaire le désir sexuel de l’homme. Se pose également le problème de l’homosexualité que la société favorise indirectement chez les femmes en les contraignant à évoluer dans des cercles exclusivement féminins sans possibilité de contact avec des hommes extérieurs à la famille avant le mariage. D’autres conséquences de la frustration sexuelle des hommes apparaissent chez les femmes, tel le port du voile comme solution à l’excitation potentielle de l’homme à la vue du corps féminin.

Enfin, dans le sixième chapitre consacré à La femme et la créativité, j’ai abordé le problème de l’exclusion des femmes du domaine littéraire, et signalé pour leur rendre justice les femmes qui ont joué un rôle primordial dans le mouvement culturel arabe depuis le début du XXème siècle. Malgré tout il apparaît que la femme arabe écrivain demeure aliénée, notamment lorsqu’elle véhicule inconsciemment l’image stéréotypée que les hommes ont des femmes surtout dans le domaine de l’interprétation des textes sacrés. Depuis les années 1980 émergent néanmoins de nouvelles générations d’écrivaines et d’artistes qui se démarquent toujours plus de l’influence exercée par une littérature masculine jusqu’alors hégémonique.

Cet ouvrage ne comporte pas de conclusion, puisqu’il vise avant tout à l’analyse de la situation de la femme et à la dénonciation des nombreux dysfonctionnements de la société arabe qui en sont à l’origine. Il revient aux politiques de concevoir des programmes viables afin d’extraire définitivement la femme arabe des conditions déplorables dans lesquelles elle se trouve, notamment liées au sous développement et à l’instabilité régionale.


[1] Cf. ‘Abdallah al-Ghudhâmî, Al-mara wa al-lugha (La femme et la langue), p. 23.

[2] Le verset complet dit: « Apres avoir mis sa fille au monde, elle dit : Mon Seigneur! ‘‘J’ai mis au monde une fille’’. -Dieu savait ce qu’elle avait enfanté: un garçon n’est pas semblable à une fille– ‘‘je l’appelle Marie, je la mets sous ta protection, elle et sa descendance, contre Satan, le réprouvé’’», la vierge Marie est, par de nombreux égards, considérée comme bien supérieure à la majorité des hommes.

[3] Muhammad Shahrûr, Nahwa usûl jadîda lilfiqh al- islâmî…(Vers de nouvelles bases de la Jurisprudence islamique, Jurisprudence de la femme) p. 321.

[4] Il faut signaler que la part des femmes arabes intellectuelles dans les écrits au sujet de la question de la condition féminine est bien net dans le discours arabe contemporain; cela a atteint 31% selon Munâ abû al-Fadl, Al-mara al-arabîa wa al-mujtama  khilâl qarn (La femme arabe et la société durant un siècle), p. 107.

(Rome, Italie, hiver 2008)

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